
Gabrielle d’Estrées, duchesse de Beaufort (©DR)
Henri IV ne la quitte jamais plus d’une heure, reçoit ses courtisans, allongé dans son lit, avec elle à ses côtés. Quand ils entrent à Rouen en 1596, c’est un véritable couple royal qui s’offre aux ovations de la foule. Elle accouche d’un 2e enfant, Catherine-Henriette dont le baptême est célébré comme celui d’un enfant de France, porté par les ducs, duchesses et maréchaux de France.
Les fêtes se succèdent. La favorite est reine de fait. Gabrielle suit le roi sur les routes du nord et le soigne avec affection. Henri IV lui ajoute le rang de duchesse de terres champenoises que Gabrielle vient d’acheter cent vingt mille écus à la duchesse de Guise et qui sont érigées en duché-pairie de Beaufort (village du département de l’Aube nommé aujourd’hui Montmorency).
Pourtant les épigrammes fleurissent sur la « duchesse d’ordure ». Elle est en effet déjà très brocardée par Paris.
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Une femme avisée et pleine de bon sens
Il y a urgence à sortir le roi de ce mauvais pas ! Ses maladies à répétition font craindre pour sa vie et donc pour sa succession. Son héritier le plus proche serait un petit garçon de 8 ans en 1596, Henri de Condé. Certains finissent même par voir d’un bon œil cette femme qui ne soulèverait aucun obstacle politique ou religieux (contrairement à une princesse du sang catholique), d’autant qu’elle « commande à tous les cœurs avec la plus grande douceur, obligeant tous ceux qu’elle pouvait » écrivait-on à l’époque.
Henri IV est un homme faible, particulièrement devant les femmes. Il est de plus en plus isolé et Gabrielle apparaît comme la seule amie, confidente, maîtresse empressée. Sauf que cette histoire fut revisitée par Agrippa d’Aubigné qui lui était reconnaissant du soutien qu’elle apporta toujours aux Huguenots. C’est plutôt une affection d’habitude et d’intérêt qu’elle portait au souverain. Elle occupe la place d’une épouse durant sept années, sans avoir la bague au doigt.
Elle le trompe dès le début ce qui rendait le roi fou de jalousie, en lui retirant la concentration nécessaire à l’homme d’État durant les conflits que traversait le pays. Il n’est pas plus fidèle mais elle devait lui appartenir ! Cette femme avisée et de bon sens prend de plus en plus de place dans la vie et les décisions du monarque. Elle lui donne un 3e enfant, Alexandre de Vendôme.
Devenir reine de France
Il lui reste deux ans à vivre et elle tient le rang d’une reine de France. Ce n’est pas pour autant que sa position et ses aspirations, partagées par le roi, de devenir reine de France, soient bien perçues.
Des Grands du royaume, en passant par l’Église, le Vatican (le pape Clément VIII freine les choses car il voudrait que le roi épouse sa nièce Marie de Médicis), la Cour et le peuple, on ne veut pas de la « putain » qui salirait l’image du roi et du pays. Leurs enfants adultérins deviendraient héritiers, ce qui ne peut être. Même les Cours d’Europe s’inquiètent de nouveaux troubles en France consécutifs à ce mariage éventuel.
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Une fin brutale
Tout s’aggrave en octobre 1598 quand le roi éprouve une défaillance cardiaque le laissant deux heures sans connaissance. Les médecins pensent même qu’il n’a plus d’espoir physique de prospérité. Il faut donc épouser Gabrielle au plus vite. Celle-ci recrute toutes sortes d’alliés rémunérés ou bénéficiaires de promesses de postes pour défendre la cause du démariage du roi auprès du pape Clément VIII.
À son tour, le roi chancelle dans ses convictions et n’est plus tout à fait convaincu de la justesse de ce choix. Des ambassades partent pour Rome et Florence. On parle de plus en plus de l’importance de la dot de la princesse de Toscane, Marie de Médicis.
Pourtant, le 23 février 1599, lors d’une fête au palais du Louvre, le roi annonce publiquement son intention d’épouser Gabrielle en lui offrant l’anneau de son sacre et des cadeaux offerts par les villes de France. Les préparatifs commencent. « La presque reine » est détestée aussi bien par le peuple parisien acquis aux Guise ultra-catholiques que par l’aristocratie à cause de ses nombreuses dépenses (robes, bijoux, hôtel de Schomberg en face du Louvre). Elle est continue d’être l’objet de nombreux pamphlets.
Les cérémonies pascales arrivent et pour calmer l’opinion, il est décidé que le roi les fêtera à Fontainebleau et Gabrielle à Paris. Les devins qu’elle consulte sont formels : elle mourra jeune et ne sera mariée qu’une fois.
Morte en couche
Elle doit donc quitter Fontainebleau et regagner Paris. Elle ne rentre pas immédiatement chez elle et s’arrête chez le financier Sébastien Zamet, rue de la Cerisaie à Paris, où elle se rafraîchit d’un citron qui lui donne une violente douleur à l’estomac. Elle gagne la maison de sa tante à Saint-Germain-L’Auxerrois où elle peut résider plus discrètement que dans son hôtel.
Son état de santé lui permet de se rendre aux offices le lendemain matin rue Saint-Antoine. Parallèlement, des rumeurs s’amplifient sur la vie du roi auquel on en voudrait ; sur les risques de nouvelles saint Barthélémy après l’enregistrement de l’Édit de Nantes, etc.
Le soir, Gabrielle est à nouveau prise de fortes douleurs, tandis que dans la nuit, s’annoncent les douleurs de l’enfantement de son 4e enfant. Les douleurs deviennent atroces. Les chirurgiens extraient un enfant mort-né. Elle s’arrache le visage de douleur. Le cou et la bouche se tordent dans d’affreuses déformations.
Les témoins racontent que son visage révulsé noircit au point de la rendre totalement méconnaissable. Elle perd la parole, l’ouïe, la vue et meurt au petit jour, le vendredi saint 10 avril 1599. Des messagers partent à brides abattues à Fontainebleau avertir le roi qui aussitôt décide de rejoindre Paris, mais que l’on arrête en chemin en lui affirmant que Gabrielle est déjà morte et qu’il lui vaut mieux ne pas entrer dans la capitale dans de telles circonstances.
Il s’y résout sans débat et rentre à Fontainebleau auprès de son fils César de Vendôme.
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Un possible empoisonnement
L’autopsie est aussitôt pratiquée, mais personne ne pense immédiatement à un empoisonnement. Ce n’est que plus tard que sa famille, puis Sully ou d’Aubigné, accréditent cette thèse. Zamet avait-il agi sur ordre des adversaires français au mariage ? Les historiens du 19e siècle confirmeront la théorie de l’empoisonnement.
Les symptômes bien décrits laissent plutôt penser que Gabrielle mourut d’une éclampsie toxique (intoxication par un taux élevé d’albumine dans les urines, pathologie de la femme enceinte se traduisant par une forte hypertension, allant jusqu’à des convulsions) ayant tous les symptômes de l’empoisonnement.
Ses obsèques sont célébrées dans l’église Saint-Germain-l’Auxerrois avec les honneurs liés à son rang. Ce sont celles d’une reine. Son effigie en mannequin est exposée sur son cercueil tandis que défile le public. On lui sert des repas simulés. Le roi prend le deuil en noir (ce que l’on ne faisait pas même pour les reines), puis en violet, l’imposant à toute la Cour durant trois mois.
Son entourage lui présente les choses comme un avertissement du Ciel au point qu’il promet de ne plus employer ses passions qu’à l’avancement et la conservation du royaume. Les princes de sang sont soulagés, les Italiens euphoriques. Le Petit Condé éclate de rire aux cris de « Madame la duchesse est morte ». La reine Margot relance alors sa demande d’annulation de mariage sur laquelle elle était revenue et, dès décembre 1599, la sentence d’annulation est prononcée.
L’ancienne épouse de Henri IV encaisse ses cinquante mille livres de rentes et deux cents mille écus d’indemnités.
Gabrielle est enterrée dans le chœur de l’église de l’abbaye de Maubuisson, dirigée par sa sœur Angélique d’Estrées. Elle avait fait promettre au roi de s’occuper de leurs enfants et de ses bâtiments.

Un tableau conservé au Louvre. (©DR)
Les consolations du roi
Quant au roi, dès Pâques 1600, il se console avec d’autres dames. « Un clou chasse l’autre » ironise son confesseur. Un portrait de la princesse de Toscane (sa future épouse, Marie de Médicis) est accroché dans l’antichambre du roi. Gabrielle a vécu !
Le drame national avait été évité.
Il en reste un étrange et célèbre tableau conservé au Louvre où deux femmes sont nues dans une baignoire. Une blonde tient un anneau de la main droite. Ce serait l’anneau nuptial que Gabrielle n’a pu mettre à son doigt. L’autre, brune, touche le sein de Gabrielle, ce serait Henriette d’Entragues, la maîtresse du roi qui lui succède dans les faveurs royales, ainsi que l’ambition matrimoniale.
Marie de Médicis, fille du défunt grand-duc de Toscane, devient donc l’épouse idéale. Ces banquiers florentins étaient bien des parvenus, mais fort riches ! L’idée n’était pas mauvaise. On contrebalancerait ainsi l’influence de l’Espagne qui détenait le Milanais, Naples et la Sicile. Mais également les Habsbourg qui possédaient les principautés et duchés du nord de l’Italie.
Gérard Geist
Gérard GEIST est maire de Sainte-Aulde. Historien, enseignant à la Sorbonne-Nouvelle Paris 3, il a publié en 2015 « Histoire de la vie rurale en Brie du Moyen-Âge à nos jours » disponible en mairie de Sainte-Aulde, chez Cyrano à La Ferté-sous-Jouarre, aux Maisons de la presse de Coulommiers et de Château-Thierry et à la librairie Le monde d’Arthur à Meaux (23 € versés au bénéfice de la commune de Sainte-Aulde). Son nouvel ouvrage « Moi, Jeronimo Lobo, ou le voyage extraordinaire d’un jésuite en Abyssinie au XVIIe siècle » vient d’être publié aux Éditions L’Harmattan (disponible dans les librairies ci-dessus indiquées ou en ligne sur les sites de L’Harmattan, de la Fnac ou d’Amazone).