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Pourquoi les îliens ont tant de mal à s'adapter en France ? Entretien avec Julian Vulakoro

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Julian Vulakoro sous les couleurs du Racing 92, en 2007.

Julian Vulakoro sous les couleurs du Racing 92, en 2007. (©Iconsport)

Caucaunibuca, Ratini, Raisuqe, Nayacalevu… Ils sont nombreux à venir du Pacifique, à faire rêver les supporters sur le terrain, et à faire parler d’eux au niveau extra-sportif. Alcool, drogue, violence… Certains joueurs ont sombré. Ce constat est surtout celui d’un mal-être profond des îliens, qui sont loin de leurs proches.

Alors Willy Taofifenua, ancien capitaine et entraîneur du FCG, a décidé de prendre le problème à bras-le-corps et de créer un centre de formation à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, destiné aux jeunes Océaniens avant qu’ils arrivent en Europe. Julian Vulakoro, ancien centre du Racing 92, a lui créé les Fijians Classic,pour aider les joueurs à se reconvertir après leur carrière, mais aussi pour encadrer ceux qui arrivent.

Nous avons discuté avec les deux. Ici, entretien fleuve avec Julian Vulakoro.

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L’adaptation des Fidjiens

Julian, on entend souvent parler de la difficulté des joueurs venant du Pacifique à se faire à la vie ici, sur le continent… Comment tu l’expliques ?

Je vais surtout parler des Fidjiens ici, puisque je le suis moi-même. Nous, ce qui nous pose des problèmes, c’est la différence de culture. Vous le voyez, tous les joueurs, quand ils sont sur le terrain, il n’y a pas de problème. Quand c’est du rugby, ça va. Le gros problème, c’est en dehors. La vie quotidienne, la vie normale. On n’est pas habitués à pleins de choses. Notamment, on se retrouve seul. On ne connaît pas la vraie vie ici, en Europe, et notre famille est loin. Alors certains se tournent vers l’alcool, vers des choses qu’on finit par subir.

La vie est vraiment extrêmement différente entre les Fidji et la France ?

Ah oui, énormément. Ici, vous, les Français, vous grandissez dans cette culture. Nous, on n’a pas la même. On a la même culture du rugby, mais il n’y a pas que ça. Il y a la vie de tous les jours. Tu ne joues pas ce week-end, tu rentres aux Fidji, et tu rentres après ? Les Fidji, c’est à 18 000 km. Ce n’est pas possible d’aller voir sa famille comme ça. J’ai vu beaucoup de Fidjiens avoir des problèmes ici en France, pas sur le terrain, des problèmes d’alcool, d’accidents de la route, de problèmes de violence… Parce qu’ils se sentent seuls, surtout

Maintenant, il y a des solutions, comme l’Académie du Pacifique Sud qu’a créé Willy Taofifenua.

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Tu es arrivé en 2005 en France, quand tu as signé pour le Racing 92. Tu as connu ces difficultés ?

Oui et non. Je suis quelqu’un qui aime le challenge. J’ai vécu dans une grande ville aux Fidji, mais pas aussi grande que Paris bien sûr. J’ai joué en Nouvelle-Zélande aussi, donc j’étais un peu habitué. La différence c’est qu’aujourd’hui, les jeunes arrivent directement de leurs villages. Ils ont une vie dans le village qui n’a rien à voir avec celle qu’on mène à Paris ou n’importe où ailleurs en France. Donc moi, je me suis adapté vite parce que c’est mon naturel. Avant mon arrivée, j’ai lu des livres sur la vie en France, pour bien me préparer. Comme ça je savais les difficultés que j’allais rencontrer. En arrivant, je savais déjà à quoi m’attendre. Parce qu’encore une fois, il y a un monde entre les Fidji et la France. J’ai eu des problèmes, d’adaptation, de connaissance. Mais je n’ai pas eu de gros problèmes.

Les grands clubs, ils ne veulent que des joueurs prêts. On ne peut pas être prêt quand on ne sait pas où on met les pieds.

Cette initiative de Willy est super, parce qu’aujourd’hui, le monde du rugby veut que, quand un joueur arrive des Pacifiques, il soit prêt à jouer tout de suite. L’Académie va accélérer le processus, parce qu’elle va permettre de connaître la culture, de voir comment ça marche en France. Avant, tous les joueurs qui arrivaient en France, il leur fallait quelques temps à s’adapter. Parce que les grands clubs, ils ne veulent que des joueurs prêts. On ne peut pas être prêt quand on ne sait pas où on met les pieds.

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C’est toujours un choc, quand tu sors de l’avion, tu te prends déjà une baffe. Tu sors de ta zone de confort, tu a l’habitude de voir ta famille tous les jours, et ici en arrivant, tu te retrouves seul, tu ne connais pas les gens autour de toi.

Mais c’est ce qui est bien au rugby. C’est que tu arrives, tu es seul, mais il y a ton club. Il t’aide à passer un bon moment en France, ça devient ta famille. C’est ça en fait. Du moment où un club te prend en charge, tu rentres dans la famille du club. Je sais que tous les Fidjiens, c’est pour ça qu’on reste, c’est cet état d’esprit dans tous les clubs.

On entend régulièrement un nouveau cas de licenciement chez les Fidjiens, comment tu expliques qu’en 14 ans il n’y ait pas eu de changement, qu’on ne laisse pas un peu plus de temps aux jeunes de s’adapter à la vie ici ?

C’est comme tout dans la vie, il faut traverser des moments difficiles pour bien comprendre qu’il ne faut plus faire ça, qu’il faut se remettre en place. Il faut bosser avec des gens qui pensent comme toi, et qui veulent trouver des solutions. C’est vrai que ça a pris du temps, mais entre temps il y a eu des choses qui se sont mises en places pour essayer d’aider les joueurs avant qu’ils arrivent.

À propos de son association

Toi par exemple, tu as monté une association…

On a monté la Fijian Cup Classic. C’est une équipe de rugby, qui aide les joueurs qui sont en fin de contrat, qui veulent rester dans le milieu du rugby, et continuer à s’intégrer en France. Avec l’association que j’ai, on va à Nouméa avec Willy pour faire un tournoi (le Aircalin Classic Rugby Cup, qui fait se réunir des grands noms du rugby pour un tournoi. Il y aura notamment Tony Marsh côté Français, Kees Meeuws côté All Black ou encore un certain Rupeni Caucaunibuca avec les Fidji), avec des joueurs qui ont vécu en Europe. On fait le tournoi à Nouméa pour soutenir l’Académie du Pacifique Sud. Pour faire comprendre que la vie en Europe, ce n’est pas facile,  « on est là pour vous dire qu’il y a une manière de faire les choses pour bien réussir en Europe ». C’est le message qu’on veut faire passer.

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Publiée par Aircalin Classic Rugby Cup Nouméa sur Lundi 10 juin 2019

On veut que la structure permette aux joueurs de rendre à la France ce qu’elle nous a donné. Alors on veut s’investir dans les écoles de rugby.

Ce qu’il y a de bien, c’est qu’on est complémentaires avec Willy. Lui s’occupe des jeunes avant l’arrivée en France, moi je m’occupe de l’après rugby. Je mets un système en place pour les joueurs Fidjiens qui jouaient en France. Des Fidjiens vont finir leurs carrières en Europe, en France notamment. On veut que les joueurs qui ont fini leur contrat, ils restent en France et ils intègrent un petit club pour donner notre expérience à l’école de rugby. On veut que la structure permette aux joueurs de rendre à la France ce qu’elle nous a donné. Les équipes sont venues nous chercher aux Fidji, nous amènent en France, on a vécu de belles choses ici. Alors on veut s’investir dans les écoles de rugby. Le gars peut jouer en Fédérale 1, Fédérale 2, mais il s’investit surtout avec les jeunes.

Parce qu’aujourd’hui, un joueur étranger qui arrive, il ne laisse rien à l’école de rugby. Il finit son contrat et il repart. Je trouve ça normal de s’investir, moi. Il va y avoir un comité de Fidjiens qui va attendre les jeunes qui arrivent en France pour les accueillir, une fois qu’ils sont passés par l’Académie de Willy, c’est à ça qu’on va servir aussi.

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Et du coup, le rôle de l’association ici, c’est quoi ?

On récupère tous les anciens joueurs qui ont terminé leur carrière en France et on travaille ensemble pour notre avenir, pour ceux qui veulent rester ici.  Mais on aide aussi ceux qui arrivent, par exemple à trouver des clubs, on épaule les joueurs en difficulté… Encore une fois, c’est complémentaire avec le travail de Willy.

On veut aider les jeunes qui arrivent. Après, il faut aussi que jeunesse se fasse, on sait qu’on empêchera pas toutes les conneries des jeunes. Mais s’ils savent qu’il y a une structure pour eux, ça va aider. C’est mieux pour notre communauté, notre image, et l’image du rugby en France. Pour bien comprendre les enjeux, il faut rester dans le milieu du rugby, c’est pour ça aussi que j’ai créé cette association.

Ceux qui ont le mal de la famille, du pays, ils peuvent rentrer facilement, c’est 1/2 heure d’avion.

Tu parles beaucoup du projet de Willy Taofifenua, qui monte cette académie pour tous les Océaniens… Pourquoi est-ce qu’elle toucherait particulièrement les Fidjiens ?

L’Académie du Pacifique, c’est parfait pour les Fidjiens, et les jeunes de manière générale. Ils vont comprendre ce qu’est la vie en France, le rugby professionnel. Tout en gardant un pied dans la culture du Pacifique, ils en mettent un autre aussi dans la culture Française puisque la Nouvelle Calédonie, c’est français. Et c’est près du Fidji, donc c’est parfait. Ceux qui ont le mal de la famille, du pays, ils peuvent rentrer facilement, c’est 1/2 heure d’avion. C’est pas les 17 000 km de Paris.

Ce travail commun permettra de vraiment mieux encadrer les jeunes. Avant, on arrivait et on pensait tout savoir. Comme dans la vie de tous les jours, on a besoin de faire des erreurs avant de s’en rendre compte et de faire des choses pour ne pas les reproduire. Maintenant, on fait ça aussi pour nos enfants, pour les générations futures.

Son point de vue sur la sélection nationale

Cette association, c’est ton travail ?

Avant qu’un Fidjien joue pour l’équipe de France, pour moi, il faut qu’il ait fait sa formation en France, comme ça, quand il enfile le maillot tricolore, il va comprendre l’importance de le mouiller ce maillot.

Non, pas du tout. Je suis magasinier chez un concessionnaire Ford, le groupe Palau. D’ailleurs, l’entreprise nous a beaucoup aidé, pour l’intégration des joueurs notamment. Justement, je veux montrer à mes compatriotes que c’est possible après notre carrière de rester en France, et de redonner notre expérience qu’on a vécu ici en France.  Il faut qu’on s’intègre à la société. Ça marche aussi pour la sélection nationale. Avant qu’un Fidjien joue pour l’équipe de France, pour moi, il faut qu’il ai fait sa formation en France, pas qu’il ait juste joué pour un club français. Comme ça, quand il enfile le maillot tricolore, il va comprendre l’importance de le mouiller ce maillot. Parce qu’il sera passé par l’école de rugby, ce ne sera pas un simple étranger. 

Pour qu’un Fidjien qui joue pour les Bleus, selon toi, il faut plus de conditions en somme…

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Quelqu’un qui a joué trois ans en Fédérale 2, puis qui a découvert le Top 14, et qui joue pour la sélection nationale… Je n’aime pas ça. Pour représenter un pays, il faut y avoir vécu des choses. Parce qu’il faut qu’il sache ce que représente la Marseillaise, qu’il joue pour son quartier, sa ville, sa famille, ses amis… Il faut être prêt à se battre, à gagner pour ton pays. Tu n’es plus Fidjien, tu es Français à ce moment-là. Malheureusement, je pense que certains étrangers qui jouent en équipe de France ne le comprennent pas ça.

Si un Fidjien a juste joué en Top 14, on est d’accord, ça représente notre existence dans le championnat. Mais il ne faut pas que ça se généralise. Il faut laisser la place aux Français, parce que si on leur prend la place, nous les Fidjiens, les Néo-zélandais, les Australiens… C’est dommage.

il faut qu’il sache ce que représente la Marseillaise, il faut être prêt à se battre, à gagner pour ton pays. Tu n’es plus Fidjien, tu es Français à ce moment-là.

Tu as une idée assez tranchée quant aux sélections de Fidjiens. Pour autant, tu le répètes, tu as une grosse reconnaissance envers la France…

En Europe, la France, c’est le seul pays qui apprécie le talent fidjien. Ici, on est présents jusqu’aux plus bas niveaux. Tu trouves toujours des Fidjiens qui jouent. En Angleterre, en élite, ils ne sont même pas 10. Ils sont six ! Ça veut dire que la relation avec les Fidji est forte. Alors on veut aider le rugby français à avancer. Cette académie de Willy, c’est une bonne solution. Pour déjà combler ce manque qu’il y a chez les Fidjiens, ce manque de culture française quand on arrive.

As-tu vu la vidéo qui donne des nouvelles de Rupeni Caucaunibuca, mise en ligne il y a quelques semaines ?

Oui, je l’ai vu cette vidéo, j’ai aidé à le retrouver pour l’interview. C’est grâce à Rugby Classic qu’on a revu Caucaunibuca. Sinon, personne ne l’aurait revu, il serait resté dans son village. Il sera présent au Aircalin Classic Rugby Cup avec les Fidjiens. C’est un gros exemple. Je suis allé le chercher dans son village, pour qu’il serve d’exemple. C’est important.

Qu’est ce qui fait de lui un exemple, justement ?

Des fois, des joueurs étaient élus homme du match. Du coup, c’était un coéquipier qui y allait à sa place, parce que le joueur ne parlait pas Français.

Ce qu’il a fait, c’est typique des joueurs des Fidji. Quand il était joueur, il faisait son match et il rentrait chez lui. Ce n’était pas par manque de respect, mais parce qu’il ne parle pas français. Il ne comprend pas la culture. La seule culture qu’il comprend, c’est sur le terrain. Sauf que les supporters ici ils veulent plus de contact avec les joueurs.

Je voulais aussi que les joueurs Fidjiens quand ils jouent bien, ils puissent parler à la télé. J’ai dit à des joueurs présents « Fais l’effort de parler français, parce que ça permet de communiquer avec les autres. » Des fois, des joueurs étaient élus homme du match. Du coup, c’était un coéquipier qui y allait à sa place, parce que le joueur ne parlait pas Français. C’est dommage. Les gars ils jouent et ils rentrent chez eux, ils ne communient pas avec les supporters.

C’est interprété comme un manque de respect, mais c’est l’inverse. C’est parce qu’on ne sait pas comment discuter avec eux, qu’on ne veut pas faire de bêtise vis à vis de la culture, parce qu’on a peur, qu’on ne s’approche pas.


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