
Antoine Scortatore court pour l’association France Lymphome Espoir. (©Ken Wongyoukhong)
Sur la ligne de départ, Antoine Scortatore ressemble à un athlète comme il y en a des centaines. À une victoire près… qu’il a inscrite fièrement sur son cuissard de triathlète : « Fuck cancer ».
Actuellement, le sous-officier de l’armée de l’air – au DA 204 basé à Mérignac (Gironde), près de Bordeaux – enchaîne les compétitions et les podiums. Récemment, il a même participé à quatre triathlons dans le même week-end !
À 24 ans, l’Occitan d’origine, qui a grandi à Toulouse (Haute-Garonne), est dans la forme de sa vie alors qu’il sort à peine de rémission.
Un cancer diagnostiqué au stade 2
Flashback en novembre 2018. De retour d’une mission en Afrique, il se rappelle avoir remarqué une grosse boule inquiétante au niveau de la clavicule droite. En France, les médecins lui font passer une batterie d’examens.
Verdict : la biopsie ganglionnaire a permis de constater un lymphome hodgkinien. En d’autres mots, Antoine est atteint d’un cancer du système immunitaire, décelé au stade 2 (sur 4).
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La (mauvaise) nouvelle tombe trois jours avant le marathon de La Rochelle pour lequel il s’est durement préparé pour franchir la barre des trois heures.
Il participe à un marathon trois jours avant sa chimio
Tant pis pour l’avis des spécialistes, qui lui déconseillent de s’aligner au départ, ce Stakhanoviste du sport se rend en Charente-Maritime et malgré la maladie qui gangrène son système immunitaire, il remplit presque l’objectif : 3h00’31.
J’étais au courant de ce qui m’attendait après, avec les séances de chimio et de radiothérapie. Comme je ne savais pas dans quel état j’en sortirai, je me suis dit que c’était maintenant ou jamais pour battre mon record sur marathon.
Le 21 décembre 2018, le triathlète est hospitalisé pour sa première séance de chimiothérapie. Les médecins lui posent un cathéter pour injecter les produits directement vers le cœur. Il est privé de sport pendant six jours minimum.
On lui promet six mois de soins. Peut-être un an. Les running, le maillot de bain et le vélo, il va devoir les ranger au fond de l’armoire pendant quelques temps.
Il est plus performant pendant sa chimio qu’avant
Que nenni ! Le sous-officier de l’armée de l’air est en arrêt pour six mois mais il ne s’imagine pas passer ses journées allongé sur un lit. Une semaine après la première séance de chimio, il part courir.
Je n’avais rien à perdre et les médecins ont compris qu’ils ne pourraient pas m’arrêter. Durant le traitement, le mental est très important et j’avais besoin de me changer les idées, de sortir.
D’une allure de 13km/h, le malade est passé à des footings à 8km/h. Il se rappelle d’envies de vomir durant les premières minutes, d’étourdissements, une impression de gueule de bois mais ensuite, il se sentait beaucoup mieux pendant des heures, même des jours.
La maladie ne m’a jamais provoqué d’effet secondaire. La première semaine après la chimio, je faisais juste de l’entretien physique mais la deuxième semaine, je me faisais des séances que je n’avais jamais faites avant la maladie. Je m’impressionnais ! Il faut dire que je m’étais constitué une vie de sportif de haut-niveau avec deux à trois séances d’entraînement quotidiennes.
Il demande aux médecins si le traitement est dopant
Le triathlète va même jusqu’à demander aux médecins s’il n’y a pas des substances dopantes dans les quatre produits – pourtant hyper agressifs pour l’organisme – qu’on lui injecte pendant quatre heures, deux fois par mois.
En oncologie, les patients prennent parfois de l’EPO, mais comme le Bordelais court régulièrement, il créé lui-même des globules rouges et n’a pas besoin du même carburant que Lance Armstrong.
Début février, le Bordelais n’a même pas perdu ses cheveux après trois séances de chimio. Les médecins se demandent s’il n’élimine pas le traitement à cause du sport, par la sudation. Il passe un scanner de contrôle.
Guérison express
Le sportif craint de devoir arrêter cette fois-ci les footings et les sorties vélo. Ascenseur émotionnel. En fait, sur le scanner, plus aucun métastase n’est visible. Les médecins tombent des nues.
Au final, il doit quand même aller au bout de ses six séances de chimiothérapie et enchaîner avec les 17 séances de radiothérapie au cas où des nanoparticules de métastases, invisibles au scanner, seraient encore présentes.
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Pas grave, tous ses records continuent de tomber. 37’40 au 10 kilomètres de Saint-Médard-en-Jalles (Gironde), en mars 2019. 16’40 au 5 kilomètres de Toulouges (Pyrénées-Orientales), en mai 2019.
De l’hôpital à la ligne d’arrivée : en pleurs avec sa sœur
Fin avril, quelques semaines avant l’annonce de sa rémission, il accompagne sa sœur Pauline sur le marathon d’Albi et fait le lièvre pour l’aider à passer sous les quatre heures. Défi sportif brillamment accompli.
Mais ce jour-là, ce n’est pas le chrono qui comptait. À l’arrivée, frère et sœur sont tombés dans les bras l’un de l’autre, en pleurs. « C »était fort en émotion », reconnaît Antoine.
Quatre mois avant, ils étaient aussi enlacés mais dans un couloir de l’Oncopole de Toulouse où le Bordelais suivait son traitement et avait tellement mal qu’il pleurait. Sa sœur avec. L’autre patient, dans sa chambre, vomissait pendant les quatre heures de la chimio et Antoine traînait sa perfusion dans l’hôpital comme un lourd fardeau.
« Le cancer m’a beaucoup apporté »
Quelle joie de le voir à peine six mois plus tard boucler l’Half Ironman de Beauvais (Oise) en moins de 5 heures, puis d’enchaîner avec l’Ironman de Nice (Var).
En 2020, il se projette déjà sur 2h50 au marathon de Barcelone ou encore à une qualification pour les championnats du monde d’Ironman à Hawaï.
« C’est bizarre mais le cancer m’a beaucoup apporté, confie-t-il. J’y pense tous les jours. Aujourd’hui, je suis heureux de me lever tous les matins, de vivre. La vie est belle. Je ne me prends plus la tête pour des conneries comme avant. Jamais je n’échangerais ma vie d’avant contre celle que j’ai maintenant. »
Du sport, du sport et encore du sport. Antoine Scortatore a gardé le même régime que celui qui a permis de battre ce « fucking » cancer. Sur les courses, il a la même hargne, le même mental. Plus solide que jamais.
Il court pour « Lymphome France espoir »
À tout le monde, il a un conseil à donner : « Faites du sport ! » « On me dit que j’ai eu une vie saine et que je suis tombé quand même malade, rapporte-t-il. Oui mais regarde comment je m’en suis sorti ! Je me remercie d’avoir fait du sport. »
Quand il ouvre en grand son maillot « Lymphome France espoir », étranglé par l’effort, lancé à toute allure, on aperçoit encore la cicatrice de la pose du cathéter sur le pectoral droit.
Sorte de trophée, à l’image du symbole Ironman qu’il s’est tatoué sur le mollet gauche après avoir bouclé son premier triathlon longue distance, comme un ultime bras d’honneur au cancer.