
Léa Seydoux et Roschdy Zem. (©Shanna Besson / Wild Bunch Distribution)
Le film « Roubaix une lumière » est sorti en salle le 21 août 2019. Le réalisateur roubaisien Arnaud Desplechin est enfin venu le présenter à Roubaix (Nord) mercredi 4 septembre 2019, avec l’acteur Roschdy Zem.
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Un meurtre, deux paumées, la misère, une enquête. Cela pourrait se passer n’importe où. Pas pour le réalisateur Arnaud Desplechin, né à Roubaix en 1960.
Basé sur une histoire vraie et un documentaire
Il faut dire qu’il se base sur un fait divers réel, qui s’est passé à Roubaix en 2002. Le hasard a voulu qu’un autre réalisateur, de documentaire celui-là, Mosco Boucault, pose sa caméra dans le commissariat de Roubaix au moment où les meurtrières avouent leur crime ! C’est ce documentaire, “Roubaix, commissariat central » (diffusé en 2008 sur France3) qui a inspiré Arnaud Desplechin.
Ce documentaire est introuvable aujourd’hui, pour ne pas stigmatiser les personnes filmées.
J’ai pris les mots du documentaire, des mots humbles pour lesquels personne ne se baisse pour les ramasser. Moi, je trouve que ces mots sont aussi grands que du Shakespeare. C’est un texte digne et sublime…
Par rapport au documentaire, « la fiction a cette force de permettre de s’identifier aux personnages. C’est à nous que ça arrive… »
Le réalisateur a-t-il pensé à la famille de la vraie victime, la septuagénaire Micheline Demesmaeker ? « Je savais que je resterai digne, que mon propos ne blesserait pas la famille. Il y a de l’empathie par rapport à cette femme ».
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Pourquoi filmer Roubaix ? Car le réalisateur y revient sans cesse. C’est sa ville natale. Mais une ville qu’il connaît mal.
Roubaix, je ne l’ai pas vraiment connue lorsque j’y habitais enfant. J’étais cinéphile, seuls le cinéma et la musique m’importaient. Je sortais peu et passais beaucoup de temps dans ma chambre. J’ai l’impression enfin de rencontrer ma ville aujourd’hui !
Alors, il revient sur les pas de son enfance, pour rattraper le passé, et peut-être, se faire pardonner son indifférence. Une rédemption qui passe par l’art. Un art brut, à la recherche de la vérité de l’âme.
La ville est belle
Qu’est-ce qui le touche dans cette ville ? « Je trouve que la ville est belle, même la courée. Il y a une couleur, une vitalité dans les villes d’immigration, dont je suis amoureux. »
Il a d’ailleurs voulu mettre en valeur les habitants en les intégrant dans son film. 43 Roubaisiens pur souche, acteurs non professionnels, ont participé.
Roschy Zem, l’acteur principal, a apprécié de jouer avec eux : « Il y a une grande intensité chez les acteurs non professionnels, l’émotion est déjà là avec eux. J’apprends beaucoup avec eux ».
Le paradoxe, c’est que le réalisateur fait une déclaration d’amour à sa ville et ses habitants au travers d’un crime. Les images sont belles mais sombres, la misère sous toutes ses formes s’étalent, la voix off insiste, rappelant que la ville connut la prospérité et que désormais « elle souffre de ne plus compter ».
Stigmatisation ?
Peut-on parler de stigmatisation ? Chacun se fera son avis. Mais on ne regarde pas ce film de la même manière qu’on soit Roubaisien ou pas.
Il est vrai que le titre, la courée, le crime, les affaires courantes de la police, entre violences familiales, viol, alcoolisme, braquage, drogue et même arnaque à l’assurance, donnent une plongée dans la misère sous toutes ses formes.
Roubaix n’est pas que le décor du film. Arnaud Desplechin nous offre une visite de la ville, les noms de ses quartiers, de ses rues, rythment l’histoire. C’est une plongée dans l’intime d’une ville, certains diraient les bas-fonds.
Si les gens veulent voir le côté enchanté de Roubaix, qu’ils regardent un autre de mes films, ‘Un conte de Noël’… », répond simplement le réalisateur à ses critiques.
Roubaix, ville la plus pauvre de France, s’étale sur grand écran. Le malaise n’est jamais loin quand on connaît et aime cette ville insaisissable, complexe, où tous les contrastes existent.
C’est quoi, la lumière de Roubaix ?
Malgré la noirceur, l’espoir jaillit. N’est-ce pas dans l’obscurité que la lumière se révèle le mieux ? L’étincelle dans les ténèbres, le diamant dans la boue, qui le verra ? Arnaud Desplechin, lui, les voit.
Alors, qu’est-ce que cette « lumière de Roubaix », titre du film ?
Le titre aurait pu être ‘Daoud le miséricordieux’, ou ‘Daoud une lumière’. C’est sa douceur, sa bonté, son empathie, qui ramènent la lumière. Il va jusquà vouloir voir le visage de la personnes assassinée, c’est un geste plein d’humanité. Daoud sait voir la lumière, même chez ses deux femmes qui ont tué. Un visage, aussi coupable soit-il, a une âme. C’est le miracle du cinéma de le montrer… », détaille le réalisateur, visiblement ému.
Roschy Zem incarne le commissaire Daoud. Qu’est-ce qui le touche chez ce flic bourré d’humanité ? L’acteur confie : « Il est charismatique, mystique, emblématique. Arnaud Desplechin a créé ce personnage comme un Marvel, mi ange-mi-démon. J’aime sa façon de concevoir la justice. Il n’est jamais dans le jugement. J’ai beaucoup appris de ce personnage, il faudrait s’inspirer de son attitude, on est tous confronté à la tentation de juger les autres sans savoir ».
Ce commissaire-là a tout d’un sage. Il écoute, rassure, comprend, sans violence, sans colère. Il est le fruit de cette ville. Il est Roubaix littéralement. De sa vie personnelle, on apprend quelques brides. Une passion pour les chevaux, une famille d’immigrés repartir au pays, un neveu en prison. Mais faut-il être seul et torturé pour rester à Roubaix ?
Dompter la vie, la ville
Une scène étonne. Le cheval, passion du commissaire Daoud, investit les paysages sombres. Encore un contraste. « Daoud essaie de dompter quelque chose d’indomptable. C’est son côté Marvel. Il essaie de dompter la ville, la vie… » dévoile Arnaud Desplechin.
Arnaud Desplechin aimerait que les spectateurs retiennent de ce film que « les gens sont formidables et la misère n’occulte pas l’humanité des gens ».
Qu’en pense le maire de Roubaix, Guillaume Delbar, par ailleurs président de Pictanovo (qui a soutenu financièrement le film) ? Il était présent ce 4 septembre 2019 au Duplexe pour la projection. « Arnaud Desplechin est un des meilleurs réalisateurs français. Ce serait bien qu’on fasse une rétrospective de ses oeuvres dans notre ville. Je trouve que dans ce film, il a donné une humanité à un fait divers. C’est réussi, dans un genre qui était nouveau pour lui ».