
Armelle Delaunay est relieur d’art depuis 30 ans. (©jpy)
Elle nous attend au fond de la cour, derrière les larges fenêtres vitrées de son atelier, à l’entrée de Beaulieu-sous-la-Roche. Mais le premier à venir à notre rencontre, c’est Bradel. Son chien depuis deux ans : « Je ne savais pas comment l’appeler », rigole Armelle Delaunay, qui manque de trébucher sur l’un de ses jouets.
« Je lui ai donné le nom d’un grand relieur, François-Paul Bradel », qui a exercé à la fin du XVIIIe siècle et dont le patronyme fait, aujourd’hui, référence à une technique.
Relieur, c’est aussi le métier d’Armelle Delaunay depuis une trentaine d’années. D’origines normandes, mais née en Allemagne, elle a « commencé à l’apprendre à Nantes, en suivant des cours », se remémore-t-elle, alors décidée à réparer ses livres.
« Ils étaient en mauvais état ». Elle prendra un plaisir fou – « passionnée par le papier, le cuir » – et bientôt la suite de sa professeure. « J’étais une grande timide. Elle m’a demandé, un jour, si je pouvais la remplacer ». Ce sera un grand « oui ».
« On a un pouvoir magique »
Installée depuis 2000 à Beaulieu-sous-la-Roche, elle propose de la restauration de livres et de la création. « C’est passionnant de leur donner une seconde vie. On a un pouvoir magique et l’impression de servir à quelque chose ».
Dans son atelier, lumineux et spacieux, où sont toujours stockées des toiles de l’ancien maître des lieux, les ouvrages jouent à cache-cache. « Il y en a un peu partout », avoue-t-elle. « Le délai est de six mois ».
D’une collection de William Shakespeare, « qu’elle ne lira surtout pas », s’amuse-t-elle, comme à son habitude, à une bible « effrayante » de 1648, qui « pèse trois tonnes », dans sa grande armoire, en passant par « un livre coquin », Armelle Delaunay est toujours bien entourée.
« Tous ont une histoire, une valeur sentimentale, des secrets », explique-t-elle, avec un sourire et un franc-parler qui ne la quittent pas. «
Quand j’ouvre un livre qui a 300 ans, je me demande toujours qui a pu le lire, quelle allure il avait. Mais si ça se trouve, personne ne l’a lu, comme aujourd’hui… »
Si elle regrette le désamour des jeunes pour le livre, elle demeure convaincue que « rien ne remplacera jamais le bonheur de tourner une page ». Elle aussi a une tablette tactile, « mais elle n’est jamais branchée », avoue-t-elle, comme un nouvel affront au numérique. « Même quand je dois chercher un mot, je préfère regarder dans un dictionnaire. Il n’y a rien de plus extraordinaire ». Dans son atelier, en plus, elle n’en manque pas…
Elle propose des cours de reliure
Chaque semaine, d’octobre à juin et du jeudi au vendredi, à raison de deux séances par jour, elle anime également des cours de reliure. « Pour les personnes qui viennent – cinq au maximum à chaque fois – c’est un antidépresseur incroyable. Ça devrait être remboursé par la Sécu ! »
Mais, en attendant, comptez 30 € pour une séance de trois heures. « Ils découvrent des sensations géniales, c’est une évasion. On fait le vide au contact du livre ». Le public masculin en est même très friand. Dernièrement, l’un de ses plus fidèles participants, âgé de 83 ans, a jugé bon de s’arrêter. « Ça faisait vingt ans qu’il venait ».
A 62 ans, Armelle Delaunay, elle, se voit encore continuer de longues années. « Tant que les mains et la tête suivront », répond-elle, en repoussant son cendrier. « En plus, je fume ! Mais je ne vais pas vivre longtemps », rigole-t-elle, toujours autant. Et de conclure, sur la situation de sa profession : « Nous ne sommes pas riches, c’est certain. Mais on fait un travail magique… » Ce n’est pas ses livres qui diront le contraire…
Alexis Vergereau
Atelier Armelle Delaunay, 1 rue des Sables, Beaulieu-sous-la-Roche. Contact : 02 51 98 83 30.