Quantcast
Channel: actu.fr - Toute l'information nationale, régionale et locale.
Viewing all articles
Browse latest Browse all 15594

Lanceur d'alerte. Le procédé de méthanisation retenu pour le Lot est « inquiétant » !

$
0
0
Pierre Aurousseau, agronome.

Pierre Aurousseau, agronome.

Pierre Aurousseau, agronome, professeur honoraire en Science du sol et science de l’environnement (1) a expliqué à Livernon (2), pourquoi le choix du procédé de méthanisation retenu dans le Lot fait peser de gros risques pour l’avenir…

Dans un premier temps, Pierre Aurousseau s’évertue à expliquer l’équilibre des composants principaux des sols. Ainsi, dans les sols agricoles français on apporte environ chaque année, 43,50 millions de tonnes de carbone, sous différentes formes ; fumier, épandage de lisier… Près de la moitié de cet apport est transformée par les micro-organismes du sol, en gaz carbonique, l’autre partie allant dans le sol, soit 21,75 millions de tonnes. C’est ce que l’on appelle l’humification. Pendant ce temps, de la vieille matière organique du sol va se minéraliser et c’est autant de carbone qui va disparaître. Donc, pour qu’il y ait équilibre, il convient d’apporter autant de matière organique que celle qui se perd.

La matière organique du sol est l’un des réservoirs principaux de carbone, à l’échelle de la planète. Lorsqu’on apporte du carbone dans le sol, celui-ci va rester dans le sol, de 50 à 66 ans en moyenne. Ce n’est qu’au terme de cette période que le carbone va s’échapper sous forme de gaz carbonique dans l’atmosphère.

Or, depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, de grandes mutations ont eu lieu, dans l’agriculture française et à l’échelle de la planète ; l’approfondissement des labours, d’importantes surfaces de prairies ont cédé la place à des cultures, la quantité des engrais minéraux a été largement augmentée, on a épandu des lisiers alors que cela ne se faisait pas auparavant… Ainsi s’est développée l’intensification de l’agriculture. « Toutes ces évolutions ont déjà entraîné, une baisse importante du taux de matière organique dans les sols » indique Pierre Aurousseau.

Que se passe-t-il lorsqu’on rajoute la méthanisation à l’agriculture intensive ?

Selon un des scénarios de l’ADEME (3) prenant en compte les conséquences de la méthanisation, ce sont 3, 8 millions de tonnes de carbone, qui ne vont plus aller vers les sols, mais vers les méthaniseurs. Ceci se traduit par une diminution de la quantité de carbone apportée au sol. Dans le même temps, la perte reste toujours la même. On n’apporte plus assez de carbone, pour compenser les pertes, dues à la minéralisation de la matière organique. Il s’en suit obligatoirement une baisse de la matière organique des sols. Avec la méthanisation on augmente les émissions de gaz carbonique, on diminue la quantité de carbone organique du sol. Au niveau de l’ensemble du territoire des sols agricoles de France, selon ce scénario de l’ADEME, les sols perdraient 65 kg de carbone par ha et par an.

Rappel : le carbone qui se retrouve dans un méthaniseur est transformé en méthane que l’on brûle et qui devient du gaz carbonique.

Lorsque nos grands-parents épandaient du fumier, ils apportaient du carbone sur le sol, lequel restait en terre de 50 à 66 ans, avant d’être transformé en gaz carbonique. Le même carbone, si on ne le met pas dans le sol, mais plutôt dans le méthaniseur, va se transformer en gaz carbonique en moins d’un an.

Selon ce même scénario ADEME, la cause de la baisse du taux de matière organique des sols dans le cas de la méthanisation, est double. Il y a deux causes :

– la première, c’est la diminution des apports de carbone au sol, dans la mesure où vous mettez du carbone dans le méthaniseur et que ce qui est mis dans le méthaniseur ne va pas dans le sol…

– la deuxième, c’est que l’apport de carbone sous forme de digestat, pauvre en carbone et riche en azote ammoniacal, il va déclencher une faim en carbone. On dit que les micro-organismes du sol vont avoir faim en carbone.

Les conséquences de tout cela, c’est que les taux de matière organique de nos sols diminuent et la méthanisation accentue ce processus. Et lorsque le taux de matière organique des sols diminue, la fertilité chimique et la fertilité physique se réduisent, et en particulier la perméabilité, à l’origine de phénomènes de ruissellements importants, inconnus précédemment.

Quid des études qui indiquent que tout va bien ?

Au sujet des études qui tendraient à soutenir que le taux de matière organique des sols n’évolue pas dans le cadre des apports de digestat, le professeur Aurousseau explique ce constat, par un manque de recul. Si l’on fait des expérimentations au bout de 2 à 3 ans, on ne peut pas mesurer cette dégradation ; il faut compter près de 10 ans, pour que la situation soit mesurable. « On ne se rendra compte expérimentalement qu’au bout de 10 ans des effets de la méthanisation et de l’appauvrissement de nos sols, mais il sera trop tard, et toute l’infrastructure aura été créée » s’indigne-t-il.

Les quelques études qui ont été menées sur de courtes périodes, voire quelques années, et qui concluent que la méthanisation n’a pas d’impact sur la teneur en carbone sur la matière organique des sols, ne sont pas crédibles.

Au sujet des abeilles retrouvées mortes aux abords d’un épandage de digestat brut, ceci tient à une atmosphère chargée en ammoniac et éventuellement en sulfure d’hydrogène, provoquant une mort quasi instantanée.

Pourquoi le procédé de méthanisation retenu pour le Lot présente-t-il des risques pour l’environnement et en matière de santé publique, notamment ?

Des lettres ont été adressées auprès de différentes instances, pour demander une table ronde, comme cela a pu se faire dans le Doubs. Silence des pouvoirs publics. Dans le Doubs, contrairement au Lot, il s’agit de méthaniseurs de petite taille, par voie solide. De plus, le Lot recèle des spécificités géologiques avec la présence de karst, et le mode de méthanisation retenu concerne du digestat brut a été maintes fois dénoncé par la communauté scientifique. D’ailleurs, plusieurs écarts avec la réglementation ont été relevés. Le 23 août 2019, le préfet du Lot aurait pris la décision d’autoriser l’installation d’une cuve de GNL (Gaz Naturel Liquéfié), alors que celle-ci était déjà sur place. Pourquoi une telle installation ? Plusieurs questions se posent à ce sujet.

Les claustridiums et autres germes font peser une réelle menace sur le plan de la santé publique. À plusieurs reprises, il a été demandé que les analyses de claustridiums soient faites au jour le jour comme le préconise l’ANSES (4), sans obtenir satisfaction. Au niveau de l’analyse des eaux, il a été repéré des escherichia coli, des clostridies, des parasites… d’où la demande d’analyses effectuées en continu.

Qu’en est-il de la méthanisation en France et à l’étranger ?

Dans la plupart des installations de méthanisation en France, on n’épand pas de digestat brut liquide, comme c’est le cas dans le Lot. Il est procédé à un traitement secondaire et même parfois tertiaire des digestats. Ce qui se pratique le plus classiquement, c’est une séparation de phases liquide/solide. La partie liquide, ne contenant que de l’azote ammoniacal est épandue sur les sols. Quant à la partie solide, d’ordinaire, elle est compostée. Il a donc été créé une filière de compostage. Dans la séparation de phases, tout l’azote se retrouve dans la partie liquide et tout le carbone dans la partie solide. Dans le cas d’installations industrielles de grande importance, il existe une troisième installation, appelée stripping ; un procédé permettant de concentrer l’azote ammoniacal dans un engrais appelé sulfate d’ammonium.

Chez nos proches pays voisins, c’est en Allemagne que la méthanisation est la plus avancée, non sans difficultés. Ainsi, l’Académie d’agriculture allemande, vient de procéder à un certain nombre de préconisations et nombre de reproches ont été portés à l’encontre de la filière de méthanisation, montrant que celle-ci n’est pas particulièrement vertueuse. L’une des principales difficultés en Allemagne, c’est notamment le fait que les méthaniseurs tournent avec de l’ensilage de maïs (20 % de lisier de porcs, 30 % d’ensilage d’herbe et 40 % d’ensilage de maïs). Ce qui entraîne des conséquences sur le prix des fourrages et le prix des herbes qui a été multiplié par trois… Comble du processus, on arrive à la quasi-disparition de l’agriculture alimentaire. On ne produit plus pour nourrir les humains ou les animaux, mais on produit pour alimenter les méthaniseurs ! En France la loi interdit de mettre plus de 15 % de fourrage de maïs dans les méthaniseurs ; or les dérogations se multiplient…

« La méthanisation est parfois présentée comme une énergie verte, préconisée en tant qu’alternative à l’énergie fossile, or, ce n’est ni une énergie verte, ni une bio énergie » conclut Pierre Aurousseau en faisant part de ses regrets de voir le Lot engagé avec le « plus mauvais procédé de méthanisation », au regard de la fragilité des sols et des risques encourus en matière de pollution des nappes d’eau potable.

JEAN-CLAUDE BONNEMÈRE

(1) Pierre Aurousseau était professeur auprès de l’Unité de recherche Sol Agro et hydrosystème Spatialisation (Agrocampus Ouest) à Rennes, président du Conseil scientifique de l’environnement en Bretagne (CSEB).

(2) L’intervention de Pierre Aurousseau, s’est déroulée à Livernon à l’occasion de la Fête des plantes, le 8 septembre dernier, devant un auditoire de plus de 150 personnes.

(3) ADEME : Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

(4) ANSES : Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.

Un gaspillage d’argent public ?
« En ce qui concerne les projets du Ségala, nous nous trouvons en présence d’un gaspillage d’argent public. Avec
500 000 € d’aides, il pourrait être réalisé quatre unités de compostage. Des agriculteurs ont opté pour cette solution, il
y a déjà plusieurs années, sans passer par la méthanisation. Il s’agit de compostage de fumier répandu via des
andaineuses. Le procédé est beaucoup moins onéreux que celui de la méthanisation. Je ne comprends pas que sur le Ségala, on puisse mettre plus de 4 millions d’€ d’aides sur une opération de méthanisation. » André Tarisse, ancien hydrogéologue du Lot.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 15594

Trending Articles