Quantcast
Channel: actu.fr - Toute l'information nationale, régionale et locale.
Viewing all articles
Browse latest Browse all 15594

Dédicace à Deauville. Robert Littell : « J’ai appris que Staline n’était pas né monstre »

$
0
0
Né en 1935, Robert Littell a publié une vingtaine de romans. L’auteur était auparavant journaliste au sein du magazine Newsweek.

Né en 1935, Robert Littell a publié une vingtaine de romans. L’auteur était auparavant journaliste au sein du magazine Newsweek. (©Xavier Thomas)

Lécrivain américain Robert Littell vient de publier Koba, son vingtième roman. Il imagine une discussion entre un narrateur âgé de dix ans, et Joseph Staline, peu avant la mort de celui-ci. Entretien avec l’ancien journaliste, qui rencontrera ses lecteurs dimanche 28 juillet 2019 à la librairie du marché à Deauville (Calvados).

D’où vient votre intérêt pour la vie de Staline ?
J’ai une fascination pour lui depuis longtemps. C’est certainement l’un des monstres de la première moitié du XXe siècle qui m’intéresse le plus. Je me pose souvent la question de savoir comment ce paysan de Géorgie, qui était ni plus ni moins qu’un brigand, est devenu membre de l’entourage de Lénine. Lors de la révolution de 1917, Staline était le seul, au sein du cercle, à ne pas être un intellectuel. Les autres, surtout Trotski, étaient tous des intellectuels.
Je me suis donc demandé comment cette transition s’était opérée. Koba était son nom de guerre avant la révolution, avant qu’il n’adopte le nom de Staline. Le fait de choisir « Koba » comme nom de guerre n’est pas anodin. Originellement, cela vient d’un célèbre roman géorgien, et désigne un personnage au profil semblable à celui de Robin des bois : un voleur qui donne aux pauvres. On constate alors que Staline avait une ambition bien supérieure à celle de rester un malfrat.

Vous dites que vous auriez aimé le rencontrer, que lui auriez-vous demandé ?
Quand j’étais journaliste, j’ai rencontré des gens très importants, comme Henry Kissinger, Alexander Kerenski, Bobby Kennedy, ou encore Shimon Pérès. C’est toujours fascinant d’être en présence des personnages clés de l’histoire.
Pour revenir à Staline, je suppose que si je l’avais devant moi, je lui demanderais ce que le suicide de sa femme Nadejda, en 1932, a représenté pour lui. Je crois qu’il y a un Staline avant la mort de sa femme et un deuxième Staline après cet événement.

« Comment rendre humain un homme monstrueux ? »

Vous vous êtes beaucoup documenté pour écrire ce livre. À quel constat êtes-vous arrivé ?
J’ai appris que Staline n’était pas né monstre. Personne ne naît monstre. J’ai fait énormément de recherches, je connais à peu près toutes les grandes biographies de Staline. Comme tout le monde, vous, moi, comme – j’ose le dire – Donald Trump, il n’est pas né monstre. Il était intéressant d’apprendre le processus qui l’a fait devenir celui que l’on connaît.
Ce qui a joué dans la vie de Staline et l’a fait évoluer, c’est d’abord son enfance en Géorgie. Son père était alcoolique et l’a beaucoup battu. Il a grandi dans une atmosphère très violente. En Géorgie, le climat était aussi très dur. Il a notamment assisté à des pendaisons sur la place publique. Les Ossètes, peuple du Caucase dont il faisait partie, sont connus pour leur violence. Après cela, alors que sa mère voulait qu’il devienne prêtre, Staline est entré en rébellion totale contre l’Église orthodoxe et sa rigidité.
Pendant des années, à la suite de la révolution, il a effectué le travail que les autres ne voulaient pas faire en s’occupant de toutes les régions oubliées du vaste territoire que constituait l’Union soviétique. Tout doucement, il a mis les gens placés à des postes clés de son côté, à tel point qu’à la mort de Lénine en 1924, Staline était le mieux placé pour diriger le pays, alors que tout le monde songeait alors à Trotski comme héritier logique.

Pourquoi avoir décidé, pour la première fois, d’avoir recours à un enfant comme narrateur ?
Lorsque j’ai entamé ce projet d’écriture, j’ai été confronté à un défi : comment rendre humain un homme monstrueux, à travers la littérature. Ma solution était donc de le voir à travers les yeux d’un garçon innocent de 10 ans et demi. La clé du livre est la première conversation entre Koba et le jeune garçon. Le premier demande à l’enfant : « Donne-moi trois raisons pour lesquelles je devrais parler avec toi ». Et le garçon, dans sa naïveté, ne reconnaît pas Staline. Il était pourtant élevé dans le culte de la personnalité de ce leader et ne pouvait ignorer toutes les représentations de celui-ci dans la presse, sur les murs, sur les bâtiments…
Pour revenir à la question, le garçon donne comme première raison le fait qu’il ne connaisse pas son interlocuteur. La deuxième raison est « parce que je ne sais pas qui tu es, je n’ai pas peur de toi ». La réponse du vieil homme est alors extrêmement révélatrice, puisqu’il explique ne pas avoir l’habitude de parler avec des gens qui n’ont pas peur de lui.
Cela établi le rapport entre les deux personnes et Staline prend plaisir à parler avec ce garçon qui ne ressent aucun effroi contrairement à tout son entourage, qui a de bonnes raisons d’avoir peur. On est devant un vieillard paranoïaque, pour qui toute personne est un ennemi, excepté ce petit garçon de dix ans.

Koba, de Robert Littell, Baker Street, 256 p., 21 €.

Koba, de Robert Littell, Baker Street, 256 p., 21 €. (©DR)

« Poutine est un homme médiocre »

Concernant les leaders actuels, comme Poutine, vous dites les trouver très petits, par rapport à ce que dégageait Staline…
Poutine est un homme médiocre. Il n’est pas sur la même échelle que les leaders de la Seconde Guerre mondiale : un Charles de Gaulle, un Franklin Roosevelt, un Winston Churchill…
Plus jeune, il était membre du KGB en Allemagne, mais même pas à Berlin. Quand le mur est tombé, le jeune Poutine est rentré en Russie avec le sentiment d’une humiliation totale. Le Poutine qu’on voit aujourd’hui est quelqu’un qui réagit à l’affront de ce moment précis. C’est notamment pour ça qu’il sublime la figure de Staline.
Le jeune Russe ne le voit pas comme celui qui avait planifié un programme de déportation de tous les Juifs du pays en Sibérie, mais comme celui qui a remporté la guerre. C’était alors le moment de gloire de la Russie, lorsqu’ils ont occupé Berlin. Staline était, à ce moment là, aux côtés de tous les grands chefs d’État lors des grandes conférences de l’époque, comme celles de Yalta ou Casablanca.
Aujourd’hui, il faut voir la Russie comme elle est. Elle était une grande puissance militaire, mais sur les autres questions comme la santé, l’éducation, la recherche, elle était un pays de seconde zone. La situation économique actuelle est très mauvaise et il s’agit presque d’un thrid world country (pays du tiers-monde).

Pourquoi écrivez-vous ?
Je crois que tous les auteurs écrivent parce qu’ils sont face au défi de la domination de langue. Ce combat de l’écriture dure une vie entière. On ne le gagne jamais. On est attiré par cette question de dominer la langue. Cela ne veut pas dire que l’on trouve l’écriture facile, au contraire.
Thomas Mann a dit qu’un écrivain est quelqu’un qui, plus que les autres, trouve l’écriture difficile. Ma citation favorite est celle d’un journaliste de sport, Red Smith : « l’écriture, c’est très facile : on ouvre une veine et on saigne ».

Vous serez à Deauville dimanche. Quel est votre rapport avec la Normandie ?
Après avoir longtemps résidé dans le Lot, j’habite dans l’Orne depuis un an et demi, et j’adore. Je trouve cette région absolument fabuleuse, bourrée de fermes, de vaches, de pommiers… Les gens sont très sympathiques. C’est une région vraiment spéciale, avec une grande histoire. On est dans les terres où les alliés ont débarqué en 1944. Tout cela fait que je suis très attiré par le pays !

Propos recueillis par Victor MISSISTRANO

Pratique
Dimanche 28 juillet 2019 de 10 h 30 à 12 h 30 , à la Librairie du Marché , Place du Marché, à Deauville (Calvados).


Viewing all articles
Browse latest Browse all 15594

Trending Articles