
La revue Collier’s avait publié cette photo montrant le romancier avec Louis Gibey au caveau des Jacobins. (©Elaine Steinbeck – Coll. Université de Princeton.)
Dans le Poligny de l’immédiat après-guerre, le Parti communiste conservait l’aura acquise dans le Résistance. Et les États-Unis alors ? La France ne leur devait-elle pas autant qu’à l’URSS sa liberté retrouvée ? L’écrivain américain John Steinbeck croit en venant passer quelques jours dans le Jura y être accueilli par des gens reconnaissants. Certes, l’accueil est chaleureux. Mais dès qu’on aborde la politique, c’est la discorde.
Les faits se passent en 1952. Russes et des Américains s’affrontent en Corée, et se livrent une bataille non moins engagée pour asseoir leur influence sur l’Europe. Dans ce contexte, Steinbeck juge bon de prévenir ses compatriotes : les Français ne seraient pas des alliés fiables.
Chez les vignerons charcinois, l’auteur des Raisins de la Colère (1939) a goûté et apprécié les meilleurs produits. Il pose un regard truculent sur ces paysans qui ne peuvent s’empêcher de trouver que la bouteille qu’ils viennent de déboucher n’est jamais tout à fait leur goût. Mais ces perpétuels insatisfaits le sont tout autant quand l’Amérique les inonde des subsides du Plan Marshall. On lui rétorque que cet argent ne fait qu’accroître les inégalités au profit des plus riches et permettre aux plus grosses entreprises d’écraser les plus petites !
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Caricature
De retour dans son pays, il s’en émeut et publie dans la revue Collier’s un long article publié qu’il intitule « L’âme et les tripes de la France » (« Soul and guts of France »). Les Polinois, à commencer par son ami le professeur Louis Gibey, voient leur confiance trahie. Pire, c’est toute la France qui s’indigne d’être décrite comme un pays où chiens et vaches errent dans les rues en terre, où le confort domestique est loin des standards américains, et où il faut encore se rendre à la fontaine pour puiser de l’eau.
A la une du journal américain, l’article de Steinbeck était annoncé de la sorte :
US go home – j’en ai discuté avec des Français ».
En guise de réponse, la presse parisienne s’intéresse à son tour à cette « petite ville » d’après laquelle l’Amérique juge la France. Le reporter de France Dimanche vient à Poligny interroger les personnes que Steinbeck cite dans son article ; il rencontre aussi le curé, le maire, le notaire… qui n’avaient pas eu l’honneur d’être présentés au futur Prix Nobel de littérature.

Bandeau de une de France dimanche, annonçant la contre-enquête menée à Poligny par l’écrivain Albert Palle (prix Goncourt) et le photographe Jean Lattès (un des fondateurs de l’agence Gamma). Quatorze ans plus tard, le journaliste d’investigation Jacques Dérogy reviendra sur l’affaire pour l’Express. (©DR – coll. B. Cabiron)

Le bandeau de Une de France dimanche, annonçant la contre-enquête menée à Poligny par l’écrivain Albert Palle (prix Goncourt) et le photographe Jean Lattès (un des fondateurs de l’agence Gamma). Quatorze ans plus tard, le journaliste d’investigation Jacques Dérogy reviendra sur l’affaire, à Poligny même, pour l’Express. (©DR – coll. B. Cabiron)
Inauguration
De cette improbable rencontre, on parla un temps… puis on l’oublia. C’est davantage sur les archives écrites que sur les témoignages que Bernard Cabiron s’est appuyé pour, il y a une dizaine d’année, en publier le récit et dresser le portrait de ses protagonistes.

Bernard Cabiron a raconté la rencontre entre Steinbeck et les habitants de Charcigny dans deux ouvrages récemment réédités. (©B. I)
Steinbeck eut sans doute le tort de forcer le trait, mais les Charcinois ne l’ont-ils pas un peu cherché ? « Ils n’ont certainement pas été très tendres avec lui non plus », imagine le président de l’association Les Amis de Charcigny, Jacques Guillot. Les Américains devaient faire face à une violente campagne internationale à leur encontre : « Ils étaient accusés d’utiliser des armes chimiques en Asie », rappelle Bernard Cabiron.
Ces circonstantce atténuantes incitent les Polinois à faire preuve de mansuétude et à ne considérer que l’essentiel : « Steinbeck s’est intéressé au peuple », retient Jacques Guillot. Dominique Bonnet, maire de Poligny ajoute :
Il a passé trois jours parmi les gens de Poligny, où il s’est plu… »,
A l’occasion de l’inauguration des travaux de réhabilitation du quartier de Charcigny, juste en face du numéro 60 de la rue Jean-Jaurès où l’écrivain séjourna chez son ami Louis Gibey, le préfet du Jura présidera la cérémonie de baptême d’une place John-Steinbeck.
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Vendredi 12 juillet à partir de 18 h, inauguration des travaux de requalification du quartier et inauguration de la place John-Steinbeck. Animations par des échassiers (« Dali et ses Muses ») et des musiciens (« Macadam’ Piano et Melle).